• Incipit (1)



    Ça a débuté comme ça
    Voyage au bout de la nuit
    – L.-F. Céline –




    Samedi 14
    Jean-Bernard Pouy


    Ce putain de lumbago.

    Au réveil,
    faut déplier la carcasse avec précaution,
    en espérant que ça ne couine pas trop,
    en guettant les coups de poignard dans le bas du dos,
    et il faut mettre en pratique toute une stratégie ergonomique
    pour enfiler les chaussettes.
    Mais on tient le choc,
    car on pense au café brûlant qui va suivre,
    au long moment pendant lequel on va l'aspirer,
    les lèvres en cul de dinde,
    le regard perdu en direction de la petite fenêtre de bois bleu,
    vers les noisetiers immobiles,
    les bourdons bedonnants,
    coincés dans les fleurs de balsamine,
    et les roses trémières avec les merles qui cavalent dessous.

    Une journée se profile alors, une journée de plus.
    Hier, c'était soi-disant un jour béni.
    Mais rien n'est venu troubler ma verte retraite,
    en bien ou en mal, chance ou malchance,
    ça fait quatre ans maintenant que les jours ressemblent aux jours,
    que j'ai quitté la noirceur de ma vie d'avant.
    Je ne regrette rien car je l'ai bien mérité, ce repos de l'âme.
    C'est une décision intime.
    Un jour, le couvercle de la marmite a sauté.
    À peine cinquante balais,
    une petite bicoque prêtée
    par un pote définitivement parti pour les Îles se dorer la couenne
    et le RSA qui tombe aussi régulièrement que la pluie,
    bien suffisant à une survie de quasi-stylite.
    De temps en temps, je pense à mon vrai boulot,
    mais comme ma spécialité est le plomb,
    pas celui des dentistes, non, celui des imprimeurs,
    ce n'est donc pas souvent.

    Tout ce que j'ai ramené de mes années récentes,
    c'est ce foutu lumbago,
    qui réapparaît de temps en temps,
    comme pour me rappeler que rien n'est jamais simple,
    qu'on ne change pas forcément de vie comme ça, pichenette,
    et qu'il y a toujours des éventualités merdiques pour vous signaler qu'on vieillit,
    qu'on paye les fausses et absurdes énergies mises à faire avancer le monde coûte que coûte.

    Aujourd'hui sera encore une journée paisible.
    Un bon samedi 14.
    C'est-à-dire que dalle.
    La litanie des heures.
    Un peu de jardinage,
    quelques courses au bourg,
    les «Salut ça va ?», les «Tu crois qu'il va pleuvoir ?» avec les natifs,
    le journal et le pain de deux.
    Tous les deux jours, le bavardage-apéro avec mes vieux voisins.
    Elle, qui est née ici, perd peu à peu la boule
    et lui, anciennement polonais, il n'a plus de dos,
    comme ça je peux vérifier à peu de frais ce qui me pend au nez.
    J'écouterai aussi, une fois de plus, mes vieux CD,
    le rock & roll en zone rurale, y a que ça de vrai,
    ça fait longtemps que je n'entends plus la radio,
    la fébrilité des temps qui s'enfoncent inexorablement ne me concerne plus.

    Et après, une grande partie de la journée pour penser.
    Regretter.
    Et espérer.

    Toujours.





    -+-

    Ça vous donne envie de lire la suite ?




    « Porte-malheurBzzzzzzzzzzzzzzzzzzz »

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  • Commentaires

    1
    Samedi 14 Mai 2016 à 09:50

    Eh bien oui !!! happy

    Tu vas poster les douze autre incipit de la collection Vendredi 13 ?

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    2
    Samedi 14 Mai 2016 à 10:00

    M'enfin...
    C'est de la littérature pour les vieux !

    Non, c'est bon.
    Noir et tendre à la fois.
    Comme un Mars noir encore emballé qu'on aurait oublié à l'ombre un jour de grand soleil.
    Et si on connaît la voix rauque de l'auteur elle berce agréablement pendant toute la lecture.

    Bon, toi c'est ESC ce soir, alors...

    B[LUDO]G
    And the winner is... MOLDAVIA !!!

    PS: C'est le seul volume que j'ai.
    Pouy a été entre autres directeur d'une collection "Suite (sweet?) noire" dont certains romans avaient été adaptés pour la télé. Un de mes meilleurs souvenirs télévisuels.
    Mais ce n'était pas pour les enfants.
    France 2 les avait passés tard et Arte les avait rediffusés pas très tôt non plus.

    3
    Samedi 14 Mai 2016 à 10:13

    Je t'ai répondu chez Martine (avec des indices pour mes propositions), mais apparemment elle s'est levée encore plus tard que moi ! yes

    Bien sûr que je regarde ESC, ne serait-ce que pour avoir le plaisir de râler, et en premier lieu, contre le choix de la sélection française, quasiment hors-sujet depuis quelques années. On décide d'aller droit dans le mur, et puis on s'étonne !!! glasses

     

    4
    Samedi 14 Mai 2016 à 10:20

    Il y a une légende télévisuelle qui veut que tous les pays envoient leurs plus mauvais candidats pour ne pas être obligés d'organiser le concours l'année suivante.  :-)
    On peut penser parfois que c'est pas tout-à-fait faux.

    Je vais émigrer en Roumanie. Ils sont fauchés, n'ont pas payé leur dette à l'Eurovision et ne peuvent plus diffuser le concours.
    Quoiqu'avec (tiens, le correcteur orthographique se plaint) un peu de chance on en sera également débarrassés en France d'ici quelques années.  :-)

    B[LUDO]G



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